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Être femme

Jessica Boehman, "Daphne", 2017.

Je suis une femme.

Cela s’est imposé de par ma nature biologique parait-il.

J’ai des organes féminins, liés à un codage génétique qui a amené mes cellules à développer un corps féminin.

Et un esprit féminin ? Personne n’y apporte de réponse.

Pour devenir une femme, il a d’abord fallu trouver des modèles.

D’autres personnes du même sexe.

Il faut bien trouver de l’inspiration pour créer.

Or, se créer femme est une sacrée gageure.

Face à soi, les visages grossis des bonnes fées de la famille, quand on a la chance d’en avoir une.

Mère, grand-mère, tante.

Sœur, cousine.

Amies, voisines, inconnues viennent s’ajouter à la galerie.

Visages souriants, inquiets, curieux, ouverts ou fermés, grimaçants ou anxieux.

Femmes haies, femmes aimées, mes sorcières de contes de fées et de cauchemars.

Mains nourricières, calmeuses, berceuses, guérisseuses.

Voix qui chantonnent, qui rassurent, qui rient, qui racontent.

Voix qui s’éloignent, qui chuchotent, qui pleurent, qui grincent.

Mains qui s’affolent, qui griffent, qui tapent, qui serrent.

Odeurs de lait, de miel, de fleurs, de sueur, . Peaux douces et fraîches, fragiles et parcheminées.

Et ma voix qui retentit pour dire la faim, la peur, la colère, le froid, le chaud.

Et mes mains qui se sucent, qui saisissent, qui s’agrippent et qui lâchent.

Et ma voix qui rit, qui roucoule, qui vocalise son contentement.

Et mes mains qui s’ébattent, qui volent, qui s’animent devant mes yeux.

Et ma peau qui appelle la caresse et jamais ne s’en lasse.

J’ai deux bouches, deux bras, trois yeux, deux jambes, deux oreilles.

J’ai une fente qui m’ouvre en deux entre les jambes, une cavité intérieure dont je ne sais pas la profondeur.

Un mystère qui n’en a pas fini de m’interroger comme il interroge toutes mes sœurs.

Un secret qui n’en finit pas de dire sa vérité.

Je suis une femme.

Je peux être une mère, une amante, une épouse, une sainte, une putain, une grand-mère, une chipie, une petite fille modèle, une sorcière, une nymphe.

Il parait que je nais vierge et que je me déniaise.

Il parait aussi que je porte le péché originel en moi.

Il paraît que je ne nais pas femme mais que je le deviens. Comment ?

Il paraîtra qu’il y a d’un côté les femmes bien et les femmes de mauvaise vie.

Je ne sais pas pourquoi je n’ai jamais eu envie de choisir.

Je sais que j’ai eu envie d’être tout ce que je souhaitais être.

J’ai été une mère, une amante, une épouse, une sainte, une putain, une grand-mère, une chipie, une petite fille modèle, une sorcière, une nymphe.

Et demain Déesse seule sait ce que j’aurais envie d’être : une prophète, une créatrice, une entrepreneuse, une criminelle, une reine, une ermite ?

Je suis une femme.

Et je suis avant tout l’association d’un corps et d’un esprit.

Et j’en retire, à présent, de grandes satisfactions.

Il n’était pas si facile de vivre en me ressentant tête liée à un corps pénible, imbécile. Une tête bien faite, bien remplie, aspirant à de grandes choses et limitée par un amas de chair, d’os et de fluides toujours à la masse.

J’ai beaucoup malmené mon corps.

Lui que j’aimais tant durant mes premières années.

Cet ami précieux s’est peu à peu transformé en étranger puis en ennemi.

Il n’était pas le reflet de mon « moi » idéal. Il était la proie d’une culture et d’une société où il était proie, signe extérieur d’infériorité. Il apparaissait avant moi, amenant l’autre à me juger par mon corps, mon genre, mon sexe.

Il ne pouvait être que le reflet de mon esprit.

Mais quand on déteste son corps et qu’on a oublié qu’on est un esprit, le mal-être s’installe.

J’ai rué dans les brancards, jetant avec l’eau du bain, le bébé à venir, le ménage, les corvées. Mais que peut-on seule contre les idées enfoncées en soi par des siècles d’emprise, de défiance par rapport à ce soi-même ? Contre les attentes, contre la normalité ?

Seule on décline jusqu’à s’assécher. Les compagnes de route alors, deviennent l’ancrage indispensable pour partager les doutes, les colères, laisser remonter d’autres vies, d’autres cris, comprendre son histoire et ses mille voiles.

Un corps de femme est une merveille.

J’aime regarder le mien, d’en haut, en me tordant dans tous les sens ou dans un miroir.

J’aime regarder celui des autres femmes. Malheureusement, il y a peu d’occasions de le voir nu mais je l’imagine sous les vêtements.

La dimension érotique est présente mais elle n’est pas essentielle dans ce que j’essaye de dire.

Le corps en lui-même est source de satisfaction sensuelle : le voir, le percevoir de tous ses sens, c’est toute une aventure.

Notre corps est en constante modification, en action multiple et perpétuelle pour assurer toutes nos fonctions vitales.

Mais ce que je vois, caché au cœur du corps des femmes, c’est ce mouvement qui l’amène à se métamorphoser au rythme de la lune, en une rotation mensuelle immuable.

Une révolution qui se répète. Le sang qui s’écoule comme le temps, fertilisant ma terre, laissant sortir de moi ce qui n’est plus nourrissant.

Un même processus, à chaque fois différent et semblable, rejouant la même partition avec d’infimes changements.

Je suis une femme.

A la fois différente et semblable à mes ancêtres, aux autres femmes, aux femmes des autres vies auxquelles je suis liée, je tisse la toile de ma vie.

J’apprends, j’ouvre les yeux et le cœur, je me casse la gueule, je me relève. Je ressens l’arc-en-ciel des émotions qui tsunamisent mon corps et provoquent les sursauts nécessaires. Je valse avec mon mental, lui indiquant que je mène la danse et le laissant prendre le large.

J’embrasse ma nature spirituelle qui se reflète partout dans le vol d’une plume, dans le parfum d’une plante, dans le défilé des nuages et qui me conduit à de passionnantes rencontres avec d’autres êtres, d’autres dimensions.

Dans ces autres plans, être ou ne pas être femme n’est pas une question vitale, c’est un angle de vue, une expérience parmi d’autres.

Je m’être-humanise en célébrant le mariage de toutes ces parts de moi et en me découvrant dans le miroir votre si-semblable inconnue.

Myriam Bendhif-Syllas, 6 mai 2020

Pour Peggy Lisch, aux confins de la faim de soi.

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