Tout a déjà été dit. Par d’autres. Avec d’autres mots. D’autres formules.
Je le sais, je le sais même depuis longtemps.
Et pourtant, me vient cet irrépressible besoin de parler, de dire à mon tour, avec d’autres mots, d’autres formules, ce qui a déjà été dit.
Je n’en retire aucune honte, aucun complexe créatif. Créer c’est partir de matériaux, de supports et en faire un assemblage unique, singulier. Si vous donnez les mêmes éléments de base à dix personnes, elles ne réaliseront pas la même œuvre.
Avant de pouvoir parler, il a d’abord fallu se taire. Se taire bien malgré soi.
Être littéralement privée de parole.
Ça commence par des maux divers de la gorge. Ça gratte, ça gonfle, ça s’irrite. On veut parler, on ne peut pas, on est retenu par tant de fils invisibles qui tissent comme un bâillon.
Et puis on parle mais pas de ce qu’il faudrait, pas de ce qui arrange les autres ; alors, les autres vous bâillonnent dans les fils invisibles de leur amour, de leur certitude de tout savoir mieux que vous.
Alors on recommence à se taire et on observe.
On se tait et on écoute.
On se tait et on devient un regard qui aspire le monde.
Mais parfois revient l’envie de parler, elle s’immisce, elle cherche à prendre d’autres formes.
Et elle y parvient.
C’est ainsi que l’on se met à parler avec des formes, des images, des couleurs. Que sur le blanc silence d’une page, se mettent à parler des signes.
Là encore, quelle blague : les autres ne comprennent pas cette langue picturale. Ils masquent leur ignorance en accumulant les compliments hâtifs et gênés.
Puis la musique des mots lus, chantés dès le berceau se matérialise sur un support : le livre.
Les signes sur la page perdent de leurs couleurs, se limitent à de petites traces noires au lieu de prendre des formes passionnantes.
Mais ces traces se mettent à leur tour à parler et à ouvrir des mondes.
La voix des autres se met à résonner dans la tête.
Les mots des autres semblent répondre aux mots si longtemps tus.
Sur les pages saturées de signes noirs, les voix se chahutent, s’amusent, se font la guerre, chantent l’amour ou raisonnent. C’est une polyphonie, c’est la vie qui se dit.
Au même moment, on trace à son tour pour la première fois les signes magiques sur la page blanche.
Et l’on se met à parler. Dans le silence, ça parle.
Sur le blanc, dans le silence, la voix se libère, elle fait exister, elle donne ses contours à ce « je » qui ne sait pas trop d’où il vient, ni où il va.
Il y aura des moments sans, des moments avec la voix. Se taire semble si souvent la solution la meilleure.
La parole est d’argent. Le silence est d’or.
Mais la parole juste est un trésor inestimable.
Alors il s’agit de trouver cette parole magique.
Un nouveau détour se fait du côté de la raison raisonneuse. Analytique, précautionneuse, dubitative, la voilà qui scrute, qui tourne et retourne chaque mot afin d’en peser tout le poids, d’en creuser les moindres recoins.
Elle travaille avec ardeur, elle s’acharne, elle lutte.
Elle vide, elle épuise, elle tarit.
Alors vient enfin l’ère du cœur : la voix raisonnante se met en sourdine et s’élève d’abord doucement puis avec la force d’un orage, la voix du cœur.
Elle sait, elle sent, elle fait, elle est. De toute éternité, sans limitations, sans doute aucun.
Et la parole jaillit tel un torrent de montagne après la fonte des neiges.
Un filet fragile, un ru cascadant, un flot empli d’énergie.
Un flux qui jamais ne se tarit, qui abreuve et désaltère.
Une source claire, lumineuse et gracieuse.
La Voix du Cœur.
Qu’elle parle et chante et crie tous les mots, toutes les notes nécessaires afin qu’advienne un monde de Conscience et d’Amour retrouvé.
Par la magie de la toile virtuelle
Cœur ouvert et la conscience déployée,
Myriam Bendhif-Syllas, 18 avril 2020
Calligraphie de Shingai Tanaka, "Voix".
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