Peut-être pensez-vous qu’entendre des voix est réservé aux enfants qui ont beaucoup d’imagination ? Ou aux fous, ces personnes qui ont perdu leur raison et vivent dans des mondes imaginaires ?
Peut-être pensez-vous qu’entendre des voix est réservé à des mystiques en lien direct avec la divinité qu’ils/elles vénèrent, à des prophètes ? Ou bien encore à des artistes car c’est bien connu, les artistes sont toujours un peu barjos…
Ces idées sont plutôt banales de nos jours, partagées par bon nombre de gens. Elles ont une histoire et reflètent un contexte culturel précis.
Dans votre propre expérience cependant, il est fort possible que vous ayez omis de considérer des phénomènes auxquels vous ne prêtez peut-être aucune attention, tellement ils vous sont familiers.
N’y a-t-il pas une voix au fond de vous qui vous répète sans cesse de vous protéger, de tout faire pour vous mettre en sécurité ? Une voix qui aime à vous répéter la même chose en boucle ? Une voix qui vous tanne jusqu’à ce que vous ayez cédé à sa demande ? Parfois cela vous amène des actions irrationnelles mais irrépressibles, parfois cela vous conduit à monter de grands raisonnements pour soutenir votre peur.
Cela vous parle ? Et bien vous entendez des voix… les vôtres ! Car en effet, vous n’avez pas qu’une voix en vous.
Des pensées à la voix qui juge et a peur
Essayons de définir précisément ces phénomènes. Dans votre for intérieur, vous pensez. Cette activité cérébrale est quasi permanente. Les pensées se pressent dans votre tête, se succèdent, souvent à une allure folle. C’est le flot permanent de vos pensées, il se produit de façon aussi automatique que votre respiration.
Si vous ne vous concentrez pas expressément sur elle, votre respiration se fait à votre insu. Si vous lui prêtez soudain attention, vous pouvez vous rendre compte si elle est calme, précipitée, lente ou rapide, si elle se fait dans la cage thoracique ou depuis votre abdomen, si vous respirez par le nez ou par la bouche…
Observer votre flot de pensées est tout aussi riche d’informations : vos pensées se précipitent-elles dans un grand désordre ? Se présentent-elles les unes après les autres ? Une pensée revient-elle de façon récurrente ? Il y a-t-il des moments de blanc, de pause, de non-pensée entre elles ? Vos pensées sont-elles articulées entre elles ? Suivent-elles un développement, une logique ? Viennent-elles de ce que vous percevez depuis votre corps, réagissent-elles à vos sensations ? Mettent-elles des mots sur ces mêmes sensations ? Autant d’observations que vous pouvez mener pour comprendre comment fonctionne votre propre flot de pensées.
Et à l’intérieur du flot, avez-vous observé que certaines pensées reviennent ? Elles sont souvent comme une vanne grande ouverte qui a du mal à se refermer. Une pensée surgit, aussitôt suivie d’une quantité d’autres qui la répètent ou la complètent. En voici quelques exemples :
« Je suis nul/nulle ». « Oui, je l’ai toujours été ». « C’est pour ça que ça m’arrive encore, parce que je suis nul »…
« Je n’ose pas faire cela ». « J’ai peur qu’on me juge et que ça me plombe ». « Pourquoi est-ce que j’ai peur comme ça ? ». « Pourquoi j’arrive pas à dépasser ma peur ? » « C’est stupide, j’ose pas, tout le monde y arrive et pas moi »… « J’ai peur de tomber malade », « J’ai peur de mourir », « J’ai peur de ne jamais être aimé.e »...
« Tiens, il me regarde ». « Il me regarde vraiment ». « Pourquoi ? » « Ce doit être pour se moquer de moi ». « Pourquoi il me regarderait sinon ? »…
On pourrait multiplier les exemples, dans des contextes très différents, presque à l’infini.
Les points communs entre ces séries de pensées, sont les suivants :
- il s’agit de jugements
- les formulations négatives sont nombreuses
- une émotion est ressentie, elle n’est pas traversée, le sujet bloque sur elle et cela enclenche de nouvelles pensées… Très souvent cette émotion est la PEUR.
Voix du mental qui s’emballe : la voix de la peur
Depuis quelques décennies, ce mode de penser a été défini. Les appellations varient mais renvoient toutes à ce phénomène de pensées envahissantes : Ego, mental, esprit d’analyse…
Pour certaines personnes, ce phénomène n’a pas de fin : il est constant. Dans leur flot de pensées, il n’y a pas de place pour autre chose que ces séries de pensées envahissantes, ces jugements incessants, ces pensées dures et violentes pour celui ou celle qui les vit.
Cela vous parle ? Vous avez votre propre expérience de ce phénomène ? Peut-être est-il mineur dans votre vie ? Peut-être arrivez-vous facilement à faire cesser la répétition de ce type de pensées ? En méditant, en allant courir, en faisant de la musique ? Cela ne constitue pas un problème pour vous. Tant mieux.
Pour d’autres, il n’y a pas de méthode efficace pour l’instant : faire une activité ne fait pas cesser le flot ininterrompu de ces pensées répétitives. Elles sont là, en permanence. Elles empêchent même de penser à autre chose, de se concentrer pour réfléchir.
En définitive ces pensées envahissantes, ne seraient-elles pas les paroles d’une voix ? D’une autre voix que vous-même ?
Se pourrait-il qu’il y ait en vous plusieurs voix qui s’expriment ?
Je vais partir du postulat qu’il y aurait au moins trois voix en nous : celle qui jacasse, répète et poursuit des jugements fondés sur des peurs ; celle qui sait, qui raisonne et analyse de façon efficace et posée et enfin celle, le plus souvent silencieuse qui observe les deux autres.
Ces deux premières voix, je leur ai donné une apparence : la première est un chien écumant, le cou entravé par un collier qui le meurtrit et le retient par une chaîne à sa niche, il aboie et semble prêt à vous mordre ; la seconde est un autre chien, le même en réalité, bien portant, joyeux et disponible, prêt à m’aider et à m’accompagner pour toute aventure qui se présente ! La troisième, c’est moi, pour de bon, l’observatrice en moi, et je peux dialoguer avec les deux autres : apaiser la première, demander son aide à la deuxième.
Voir et traverser la peur : entendre les voix, dialoguer avec elles.
Notre esprit d’analyse rationnel est lié à notre cerveau et donc au reste de notre corps. Il reçoit et renvoie en permanence des informations puisées dans nos sensations internes et externes. Il observe le monde et analyse les faits de notre présent, mais aussi de tout ce que contient notre mémoire, connaissances, impressions, émotions… Son rôle est de nous informer et de nous permettre de réagir face à ce que nous vivons : c'est le bon compagnon à l’œuvre.
Lorsqu’une émotion est très forte et qu’elle renvoie à un événement qui nous a bouleversés, voire traumatisés par le passé, alors l’esprit d’analyse rationnel rappelle à la mémoire l’émotion de départ et elle nous submerge. S’enclenche alors une série de pensées qui tentent de mettre en ordre quelque chose qui n’a pas été vu, reconnu, compris mais elles emploient les bribes de ce que l’événement originel nous a laissé : les jugements de quelqu’un d’autre, les jugements que nous avons alors posés sur nous-mêmes. La voix du chien qui aboie est alors dure, cassante, sans aucune compassion. Elle blesse, elle fait souffrir. La peur dépasse toute logique mais elle prend parfois l’aspect de la logique : elle fonde un raisonnement pour arriver à ses fins et obtenir la mise en sûreté de la personne.
Doit-elle pour autant être annihilée ? Non, bien au contraire, elle a besoin d’être entendue. Non pas dans sa répétition incessante. Il n’y a pas lieu de prolonger la douleur causée. Mais elle a besoin d’être entendue dans ce qu’elle vient révéler : le chien qui aboie nous renseigne, nous alerte sur quelque chose qui n’a pas été vu, reconnu, compris et donc accepté.
L’observateur peut voir, reconnaître, comprendre et accepter la peur qui s’est manifestée. Il donne le relais au bon compagnon qui intervient alors pour faire en sorte que l’information acquise soit réemployée et mise à son service.
Que la peur concerne la maladie, l’abandon, l’amour, le manque, la mort…, elle demande à être regardée en face. Sinon elle trouvera tous les biais pour se faire entendre : un mental qui jacasse et harcèle, des actes compulsifs… d’autres voies/voix encore jusqu’à ce qu’elle soit enfin reconnue et accueillie.
Myriam Bendhif-Syllas, 7 mars 2020
"Méduse", Le Caravage, détail.
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